| Rédacteur invité - David Goudreault

Rédacteur invité – David Goudreault

Rédacteur invité – David Goudreault

10 janvier 2018 - Actualités

Des livres partout. Juste des livres. Pas de chandeliers, de bols à salade ou d’extracteurs à jus. Une vraie librairie qui se consacre à vendre des livres. Du haut de mes dix ans, je vais acheter moi-même mon premier roman. Le sifflotement de Wind of change m’accompagne à la caisse, l’odeur des bouquins se mélange à celle d’un parfum fruité et j’enregistre inconsciemment une multitude de détails : le bruit de la caisse, la disposition des rayons, la silhouette recroquevillée de cet homme qui consultait une encyclopédie, le billet de vingt dollars que je tends, fébrile, à une bienveillante libraire, la poignée de monnaie qui retrouve le fond de ma poche. Et ma sortie triomphante de cette librairie, mon premier roman à la main. Dépucelé.

Depuis l’achat de La course à l’amour, roman jeunesse au propos troublant, j’achète trop de livres. J’ai embrassé et abandonné de nombreuses dépendances au cours de ma vie, de l’alcool jusqu’aux sushis en passant par la pornographie norvégienne vintage. La seule dont je ne me suis jamais débarrassé, qui ne m’a jamais dégoûté ou découragé, c’est ma dépendance aux livres. Je suis accro aux livres, à tous les rituels qui les entourent; rencontrer les dealers œuvrant sous le nom de « libraires » pour découvrir le nouveau stock; goûter l’adrénaline de l’achat injustifiable alors que la maison déborde déjà de bouquins et que la bibliothèque municipale n’est qu’à trois pas de ma porte; soupeser, toucher, caresser, ouvrir et humer l’objet; le poser sur une des nombreuses piles encombrant mon bureau; le choisir et, surtout, lire le livre.

Lire est un magnifique paradoxe. Verbe d’action, il demande un arrêt. Alors que la lecture exige un certain isolement, elle nous connecte au monde, développe notre altruisme et notre compréhension de l’animal humain. Sans aucun contact direct avec l’auteur, une rencontre se produit. Même si on se plonge dans une fiction de Ducharme, dans un poème hermétique de Mallarmé ou dans une bande dessinée intergalactique de Bilal, un véritable changement s’opère en nous, l’imaginaire construit notre réalité. Et comme nous, le livre est fait de contradictions, de possibilités, de promesses, de déceptions…

Le regret de terminer un bon livre. Le désœuvrement d’avoir tout lu d’un auteur qu’on adore. Et que cet auteur soit mort! Pire encore: que cet auteur soit vivant, mais n’écrive désormais que de la bouette insipide. De nombreuses désillusions attendent les lecteurs compulsifs, mais jamais celle de la lecture. La quête ne s’achève jamais; on sait, on ressent qu’un autre livre immense attend de nous tomber sous le regard, une autre dose nous est promise, planquée dans une de nos piles ou dans le rayon de notre librairie préférée. On en veut encore, toujours plus!

En période de manque, au détour d’un passage à vide entre deux mauvais livres, le lecteur aura besoin des secours d’un libraire fiable. Un vrai de vrai qui lit pour vrai. Un Jack Drill, une Éliane Ste-Marie, un Billy Robinson ou tout autre amoureux de la littérature digne de prescrire quelques chefs d’œuvres. Pas le dernier Goncourt ou le buzz de l’heure, mais un livre fait pour le lecteur ou la lectrice en état de sevrage. Une bonne lecture, c’est le bon livre dans les mains de la bonne personne au bon moment de sa vie. Pour mettre le doigt sur ce point de convergence précis, rien n’égale l’avis d’un spécialiste. Et les spécialistes du livre, ce sont les libraires. On l’oublie trop souvent. Merci de nourrir ma dépendance, amis libraires.

 

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Crédit photo : Marianne Deschènes


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